En quoi le climatoscepticisme peut-il affecter la prise de décision politique ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis en classe de terminale et fais des recherches pour mon grand oral de HGGSP qui porterait sur l'environnement et le climatoscepticisme mais j'éprouve des difficultés à trouver des documents et informations. Mon sujet serait "En quoi le climatoscepticisme peut-il affecter la prise de décision politique ?"
Merci par avance pour votre retour
Réponse du Guichet
Les politiques menées par deux climatosceptiques, Donald Trump aux Etats-Unis ou Jair Messias Bolsonaro au Brésil, répondent parfaitement à votre question et sont une première entrée pour réfléchir à votre sujet. La lecture des différentes études citées ci-dessous vous permettra d'établir votre argumentaire.
Bonjour,
En guise de préambule, rappelons que les questions climatiques ont forcément une dimension politique !
Ceci étant dit, ces différentes lectures devraient vous permettre de répondre à votre question et de voir comment le discours climatosceptique et avec lui les prises de décision vont à l’encontre des rapports dont celui du GIEC. Au mieux ou devrait-on déjà dire au pire, les climatosceptiques adopteront une posture de l’inaction comme le révèle l’interview de Valérie Masson-Delmotte publié sur Le Journal Cnrs.
Cette posture de l’inaction peut-être doublée d’attaques virulentes voire de solutions reposant sur une croyance technologique à même de résoudre tous les problèmes.
Nous vous laissons aussi consulter l'article publié sur Le journal Cnrs abordant la diffusion sur les réseaux sociaux du climatoscepticisme.
Pour introduire votre sujet, vous pourrez vous appuyer sur l’article Renaud Hourcade et Albin Wagener, « Le climatoscepticisme : une approche interdiscursive », Mots. Les langages du politique. Discours climatosceptiques, 127 | 2021 ( et voir les autres contributions de ce volume).
Puis trouver des arguments en prenant appui sur des politiques clairement anti-environnementales.
Ainsi, Donald Trump illustre parfaitement comment le climatoscepticisme a des conséquences sur les prises de décisions politiques :
La sortie de l’Accord de Paris sur le climat, en 2017, accompagnée du mot de D. Trump – « J’ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de
Paris » –, a donné le ton. Les nominations et décisions se sont enchaînées pour détruire les normes de protection environnementale. En trois ans, D. Trump est revenu sur une centaine de mesures protégeant les espèces animales en danger, luttant contre la pollution des cours d’eau et l’exploitation des sols, limitant les émissions de gaz à effet de serre par les entreprises, interdisant la vente d’ampoules à incandescence, etc. Si certaines régulations remontaient à la présidence de Richard Nixon, beaucoup avaient été décidées par Barack Obama. La plupart de ces décisions ont été attaquées devant les tribunaux par des associations de défense de l’environnement.
Le combat trumpiste a également consisté à tenter d’imposer un récit climatosceptique dans l’espace public. L’un des corollaires de ces politiques repose, en effet, dans des attaques contre la science et la recherche.
En contraignant, par exemple, les scientifiques à dévoiler leurs données confidentielles – notamment des données personnelles de santé – avant de publier leurs résultats, l’Environmental Protection Agency a introduit un contrôle ad hoc sur le travail des chercheurs et chercheuses – hors de l’évaluation entre pairs, qui est la règle –, inventé une nouvelle manière de les censurer et de faire en sorte que les résultats de la recherche pèsent le moins possible dans la définition des politiques publiques.
Depuis les années 1980, la fragilisation de certaines industries traditionnelles, peu rentables, et donc la disparition de métiers qui y sont associés (mineurs, ouvriers spécialisés, etc.) ont occasionné des résistances très fortes et une incompréhension encore plus forte dans les populations concernées. La majorité de ces emplois étant traditionnellement masculins, manuels, exigeant une grande force physique, la situation a été perçue comme le signe d’un déclin de la masculinité, d’une mise en danger identitaire .S’est ajoutée à cette évolution une montée en puissance, depuis quarante ans, du secteur des services et du care, forts pourvoyeurs d’emplois occupés par des femmes, notamment issues des minorités ethniques. La difficulté pour une partie des hommes d’accepter que les femmes deviennent les breadwinners a alors renforcé la crispation sur une division genrée du travail et des rôles sociaux. À la peur d’une marginalisation, d’une stigmatisation et de la perte d’un statut social se sont joints la dénégation et le déni concernant l’exploitation de la nature : la défense de l’environnement est associée à la passivité, à l’attentisme et s’oppose, dans les imaginaires, à la force, à l’action et au travail. « Les hommes blancs de la classe moyenne américaine ont été les premiers et demeurent les plus fervents défenseurs du rêve américain » note le sociologue Michael Kimmel. Mais nombre de ces hommes sont aujourd’hui sur la défensive, pessimistes et tournés vers le passé plutôt que vers l’avenir. « Make America Great Again » signifie alors « Make American White Men Great Again ».
D. Trump s’est, en effet, présenté comme leur sauveur. Sa rhétorique sur Twitter (« JOBS, JOBS, JOBS! »), défendant les emplois traditionnels – masculins – dans les énergies fossiles, l’industrie automobile ou manufacturière et l’agriculture intensive, se veut performative et nourrit, là encore, l’illusion d’une Amérique autosuffisante et fermée sur elle-même.
Source : Marie-Cécile Naves, "Donald Trump, ou la masculinité hégémonique au pouvoir", Dans Revue internationale et stratégique, 2020/3 (N° 119)2020/3 (N° 119), pages 89 à 96
Sur ce sujet, vous pourriez aussi lire :
VIVIEN Franck-Dominique, DAMIAN Michel, « Oublier Trump et le climat », Natures Sciences Sociétés, 2017/2 (Vol. 25), p. 109-110.
Au Brésil, Jair Messias Bolsonaro s’inscrit dans la droite ligne de Donald Trump et Frédéric Vandenberghe revient dans l'article « Sociologie de la conjoncture, de la structure et de la démocrature au Brésil » ( Problèmes d'Amérique latine, 2019/4 (N° 115), p. 129-144) sur les conséquences de sa posture climatosceptique :
Le lundi 19 août 2019, vers 16 heures, le ciel de São Paulo s’est obscurci. Des nuages de fumée venant d’Amazonie se sont abattus sur la plus grande métropole de l’Amérique latine et l’ont plongée dans l’obscurité. Davi Kopenawa, le leader spirituel des indiens Yanomami, dit que le ciel lui est tombé sur la tête. Les incendies de la forêt de l’Amazonie sont d’origine criminelle. Ils ont été allumés par des éleveurs de bétail, de trafiquants de bois et de prospecteurs de métaux nobles qui se sont sentis « encouragés » par la politique du laissez-faire environnemental de Bolsonaro.
Climatosceptique et férocement anti-écologiste, il a refusé de signer l’accord de Paris contre le réchauffement climatique. Après avoir renoncé à son idée initiale de carrément abolir le ministère de l’environnement, il a nommé Ricardo Salles, un jeune politicien libéral lié aux ruralistes, pour assumer sa direction avec une mission destructive : démonter le programme de gouvernance environnementale et arrêter « l’industrie des amendes » qui limite le rayon d’action du développement du secteur agro-alimentaire, de l’industrie et de l’exploitation minière.
Répondant aux contre-feux internationaux, Bolsonaro prétend que les feux ont été allumés par des ONG, conteste les statistiques, insulte le président Macron en se moquant de son épouse. C’est la première grande crise de son gouvernement. Sa popularité plonge, mais fidèle à ses habitudes, il se radicalise en attaquant la gauche, la presse et la communauté internationale.
Le discours inaugural de Jair Messias Bolsonaro devant l’Assemblée générale de l’ONU n’a surpris aucun Brésilien. Sans surprise, sans subtilité et sans diplomatie, il introduit la post-vérité à l’ONU en niant de manière éhontée les évidences des images satellites des incendies, profane l’image des leaders indigènes de renommée mondiale, et récupère le discours postcolonial des minorités culturelles qu’il abhorre pour mieux affirmer le dogme souverainiste hérité du régime militaire : « intégrer pour ne pas livrer » (« integrar para não entregar »), soit intégrer l’Amazonie au territoire et la développer en exploitant ses ressources pour ne pas la soumettre à la communauté internationale.
Nous vous recommandons également les lectures suivantes :
DROULERS Martine, « Le Brésil à l’aube de la présidentielle », Politique étrangère, 2022/3 (Automne), p. 131-143.
CAMPION Baptiste, « Grandeur, décadence et transformations des contrediscours climatiques », La Revue Nouvelle, 2021/7 (N° 7), p. 44-49.
COURNIL Christel, « Le quinquennat de l’urgence climatique ? Retour critique sur les intentions et les actes du Président Macron », Revue juridique de l’environnement, 2022/HS21 (n° spécial), p. 167-186.
ZASK Joëlle, « De la démocratie à l’écologie et vice versa », Cités, 2022/4 (N° 92), p. 101-108. DOI : 10.3917/cite.092.0101. URL : https://www.cairn.info/revue-
FRESSOZ Jean-Baptiste, « La « transition énergétique », de l’utopie atomique au déni climatique : ETats-UNis, 1945-1980 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2022/2 (n° 69-2), p. 114-146.
Sans oublier de parcourir les ouvrages suivants qui vous fourniront des arguments :
Qui sauvera la planète ? : les technocrates, les autocrates, ou les démocrates.../ Nathanaël Wallenhorst, 2022 : "Un essai décryptant les différents récits politiques contemporains liant la catastrophe écologique et l'échec de la démocratie, du rêve technoscientifique californien aux climatosceptiques, en passant par le changement global instauré par la conversion à l'écologie de chaque citoyen ou encore l'altermondialisme".
Le devenir du climat : la prise de conscience : histoire et projections, dérèglements climatiques et société / Dominique Bourg, Jean Jouzel, Hervé Le Treut, 2022 : "Un cours sous forme d'entretiens dans lequel un philosophe et deux spécialistes du GIEC répondent à une série de questions sur le climat, la construction scientifique d'un modèle climatique, la modélisation et la projection climatique, leur utilisation au niveau mondial, les attaques négationnistes contre les changements climatiques, entre autres".
Bon travail !