Quels sont les philosophes qui ont fait de la convoitise un concept important ?
Question d'origine :
Quels sont les philosophes qui ont fait de la convoitise un concept important ?
Réponse du Guichet
Plusieurs philosophes ont analysé le concept de convoitise.
Bonjour,
Dans son Dictionnaire philosophique, André Comte-Sponville nous dit que "La convoitise c’est désirer ce qu’on a pas, qu’on voudrait posséder, et d’autant plus fortement que quelqu’un d’autre en jouit ou en dispose. La convoitise commence dans le manque et culmine dans l’envie. C’est où l’amour de soi mène à la haine de l’autre."
Quels philosophes ont fait de la convoitise un concept important ?
Saint Augustin, se basant sur une citation de Saint Jean (Première épître (II, 16): «Car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil des yeux») distingue trois formes de convoitise : convoitise de la chair, curiosité et orgueil.
La cupiditas, que l’on peut traduire par convoitise, est un mot courant dans la culture latine classique. Pour Cicéron, la convoitise fait partie des quatre passions – les trois autres étant la joie, la crainte, la tristesse – et désigne un désir immodéré vers quelque chose qui est bien en soi, mais que l’on veut posséder avec une mauvaise intention. Il peut aussi être un terme générique pour les autres formes de convoitise. Augustin retrouve ce terme de cupiditas dans une citation biblique qu’il affectionne particulièrement dans ce domaine, 1 Tm 6,10, la cupidité est la racine de tous les maux.
[...]
Deux exemples d’utilisation de la triple convoitise
2.1. Dans les Confessions
Augustin a commenté une vingtaine de fois 1 Jn 2,16. Nous retrouvons ainsi ce verset dans le livre X des Confessions, où Augustin relit son expérience et prend conscience de sa fragilité. Il distingue donc trois types de convoitises (appelées ici concupiscentia) qui sont autant de manière de se détourner de Dieu en s’attachant prioritairement aux choses créées, et non pas au créateur.
Augustin débute par la convoitise de la chair (Confessions X,30,41 – 34,53). Comme on peut s’y attendre, cette dernière est particulièrement développée. Cette convoitise désigne tout d’abord le désir sexuel et les images fixées dans la mémoire qui assaillent encore Augustin. Mais elle ne s’y limite pas et l’évêque d’Hippone évoque d’autres tentations : tentation du goût, ce qui amène à la relation avec la nourriture et la boisson ; tentation de l’odorat et relation avec les parfums ; tentation de l’ouïe où Augustin évoque le plaisir ambigu qu’il peut prendre en écoutant les chants d’Eglise - ce plaisir est ambigu, car on peut ne s’attacher qu’à la beauté du chant et ne pas faire attention au contenu - ; tentation de la vue. A chaque fois, Augustin prend le soin de préciser que les objets vers lesquels la convoitise s’oriente sont bons en soi ; la valeur de la nourriture, des parfums ou des chants n’est pas dénigrée. Le problème commence lorsqu’on les considère en eux-mêmes, sans plus les rapporter à Dieu.
La deuxième forme de convoitise est la convoitise des yeux, ou la vaine curiosité (X,35,54 – 36,58). Augustin y décèle là une forme de tentation, peut-être plus dangereuse car plus subtile. Il s’agit de toutes les volontés de voir ou de connaître des choses peu importantes par simple curiosité, au-delà de toute utilité. Avec une certaine finesse d’analyse, Augustin note que cette curiosité nous pousse à aller voir des choses que nous considérons naturellement comme répugnantes, comme les cadavres des hommes morts. A la base de tout ce que l’on appellerait maintenant le voyeurisme, Augustin prend conscience de cette attirance implicite et inconsciente vers le mal. L’évêque d’Hippone place aussi dans le registre de cette convoitise le théâtre - considéré comme immoral et foncièrement païen par les Pères de l’Eglise - , l’astrologie ou les pratiques superstitieuses, en se souvenant qu’il en a lui aussi été un adepte.
La troisième forme de convoitise est l’orgueil (X,36,59 – 39,64). Dans la société humaine, vouloir être aimé et être craint des autres est une redoutable tentation. Cela englobe la recherche des honneurs et des charges publiques, la louange des autres, la vaine gloire ou l’amour-propre.
Ces tentations sont redoutables, car elles peuvent s’insinuer au cœur même des bonnes oeuvres. Celui qui les reçoit peut alors se glorifier en lui-même et oublie d’attribuer tous ses mérites à Dieu. S’il cherche d’abord à se plaire à lui-même, il en vient à ne plus chercher à plaire à Dieu. De là provient l’orgueil de celui qui oublie qu’il a tout reçu de Dieu et de sa grâce.2.1. Sur les Homélies sur la première lettre de saint Jean
Cette conception de la triple convoitise revient à de nombreuses reprises sous la plume et le verbe d’Augustin, sous la triade volupté-curiosité-orgueil.
source : Le désir déréglé : la triple convoitise chez Augustin
A écouter : Corps, esprits et charité : les trois concupiscences de Pascal
A lire : Saint Augustin et la première épître de Saint Jean / Dany Dideberg et Les Confessions de saint Augustin
Spinoza dit que nous ne sommes déterminés que par des convoitises et des affects. Les hommes sont des êtres de désirs :
L’envie, apprend-on, est une manifestation de la nature de l’homme compris comme être de désirs dont l’incomplétude appelle la présence indispensable de ses semblables. En même temps, cette dernière est source de conflits, puisqu’elle favorise la comparaison et fait naître des appétits et des passions qui ne seraient pas sans elle. Ce mouvement puise sa force de la confluence de l’imitation et de l’envie, cependant que l’anthropologie spinoziste permet de comprendre les causes et les manifestations de cette passion qui est, en dernière analyse, un désir né de la confrontation d’ego aux désirs d’autrui. C’est pourquoi, comme la haine, l’envie est une inclination commune à tous les hommes.
L’insistance de Spinoza sur ce point vise à récuser les analyses qui rapportent l’envie à la nature pécheresse des hommes dont elle est supposée témoigner. Non sans malice, et pour mieux se jouer sans doute des opinions du lecteur, il ajoute : c’est la « même propriété de la nature humaine » qui fait que les hommes éprouvent de la commisération pour ceux qui souffrent et sont envieux du bonheur de leurs semblables.
À l’origine de ces deux affections, l’une réputée bonne, l’autre jugée mauvaise, se trouve donc une seule et même disposition qui, en fonction des circonstances, va donner naissance à des passions opposées. Pour le philosophe, les hommes ne sont donc pas envieux parce qu’ils sont mauvais et marqués à jamais par le péché originel, mais parce qu’ils sont des êtres de désirs. Aussi la réprobation spinoziste de cette passion, réprobation libre de toute considération religieuse, se distingue-t-elle de la condamnation chrétienne qu’elle invalide en même temps. Condamnation qui a fait de l’envie un péché capital, dont la gravité n’a cessé de croître au fil des siècles, notamment après que la confession ait été rendue obligatoire par le quatrième concile de Latran en 1215.
source : LE COUR GRANDMAISON Olivier, « Chapitre V. « L'Envie est la Haine... » », dans : Haine(s). Philosophie et politique, sous la direction de LE COUR GRANDMAISON Olivier.
Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ia-IIae, Question 30, Article 1
"ARTICLE 1 : La convoitise est-elle seulement dans l'appétit sensible ?
Objections :
1. Il semble que la convoitise n'existe pas seulement dans l'appétit sensible car il existe une convoitise de la sagesse selon l'Écriture (Sagesse 6, 20) : « La convoitise de la sagesse conduit au royaume éternel. » Or l'appétit sensible ne peut se porter sur la sagesse. Donc la convoitise n'est pas seulement dans cette sorte d'appétit.
2. Le désir des commandements de Dieu ne se trouve pas dans l'appétit sensible ; bien plus l'Apôtre dit (Romains 7, 18) : « Le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair. » Or le désir des commandements de Dieu est une sorte de désir sensible ou "convoitise", selon cette parole du Psaume (119, 20) : « Mon âme a convoité ardemment tes décisions. » La convoitise n'est donc pas dans le seul appétit sensible.
3. Pour toute puissance, son bien propre est objet de convoitise. Celle-ci se trouve donc en chaque puissance de l'âme, et non seulement dans l'appétit sensible.
Cependant :
S. Jean Damascène dit : « L'irrationnel qui obéit à la raison et se laisse persuader par elle, se divise en convoitise et colère. Or il s'agit de la partie irrationnelle de l'âme, passive et appétitive. » La convoitise est donc dans l'appétit sensible.
Conclusion :
« La convoitise, dit le Philosophe [Aristote], est l'appétit de ce qui plaît. » Or, nous le verrons plus loin, il y a deux sortes de plaisirs : l'un se trouve dans le bien intelligible, qui est le bien de la raison ; l'autre, dans le bien d'ordre sensible. Il semble que la première sorte de plaisirs n'appartienne qu'à l'âme. La seconde relève de l'âme et du corps, car le sens est la faculté d'un organe corporel, de telle sorte que le bien sensible est le bien de tout le composé humain. Or c'est d'un tel plaisir que la convoitise semble être l'appétit, appartenant solidairement à l'âme et au corps, comme l'indique le mot même de convoitise ou concupiscence. Par conséquent, la concupiscence, au sens propre, se trouve dans l'appétit sensible, et plus précisément dans la partie concupiscible, qui en tire son nom.
Solutions :
1. L'appétit de la sagesse ou des autres biens spirituels est appelé parfois convoitise, soit à cause d'une certaine ressemblance entre appétit supérieur et appétit inférieur ; soit à cause de l'intensité de l'appétit supérieur qui rejaillit sur l'inférieur ; alors celui-ci tend à sa manière vers le bien spirituel à la suite de l'appétit supérieur, et le corps lui-même se met au service des réalités spirituelles. Comme il est écrit dans le Psaume (84, 3) : « Mon cœur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant. »
2. Le désir, à proprement parler, ne relève pas seulement de l'appétit inférieur, mais aussi du supérieur. En effet, il n'implique pas, comme la convoitise, une certaine complexité dans le désir mais un mouvement simple vers la chose désirée.
3. Il appartient à chacune des puissances de l'âme de désirer son bien propre d'un désir naturel, non consécutif à une connaissance. Mais désirer le bien d'un désir conjoint à une connaissance, comme en ont les animaux, cela n'appartient qu'à la puissance appétitive. Quant à désirer une chose en tant qu'elle est un bien délectable d'ordre sensible, c'est le propre de la convoitise, qui appartient à la puissance concupiscible."
"Pour Aristote le désir peut prendre trois formes : deux formes irrationnelles, la convoitise et l’emportement, une forme rationnelle, la boulêsis qui désire ce que la pensée (dianoia) prescrit comme bon. "
source : Vergnières Solange, « La naissance de l’éthique », dans : Éthique et politique chez Aristote. Φύσις, ἦθος, νόμος, sous la direction de Vergnières Solange. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Fondements de la politique », 1995, p. 93-144.
La philosophie bouddhiste a également traité de la convoitise :
Siddhartha Gautama "explique que le désir de possessions et de jouissances est la source de la triple racine du mal que sont la convoitise, la haine et la peur. La convoitise est la soif de ce que possède l’autre, la haine de l’autre naît du désir de ce qu’il possède et la peur a pour origine l’idée que l’autre pourrait prendre ce que je possède et qu’il ne possède pas."
source : Les Grands Textes de la Philosophie pour les Nuls / Marie Bretin
Bonne journée.
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