Les accusations de trahison portées à l'encontre de Danton étaient-elles fondées ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pouvez-vous nous dire si les accusations de corruption et de trahison de la Révolution portées par le Comité de salut public à l'encontre de Danton sont-elles fondées ?
Réponse du Guichet
Alors que les accusation portant sur sa corruption semblent avoir été prouvées lors de son procès, sa "trahison" de la République et des idéaux révolutionnaires demeure plus difficile à trancher.
Bonjour,
La Révolution française est l'un des moments fondateurs de la vie politique française. Son analyse a produit des courants historiographiques divers, sujets à de multiples interprétations des événements, et donné lieu à de nombreuses controverses qui ont jalonné l'histoire de l'analyse de la Révolution. Bien que l'Histoire soit une science construite à partir de sources et de méthodes, la Révolution française demeure un sujet à chaud, polémique et souvent politisé, de part le poids de son héritage dans la vie politique française et les enjeux mémoriels qui l'entourent. La période qualifiée à posteriori de "Terreur" (1793-1794), qui fait référence au régime d'exception incarnée par l'instauration d'un gouvernement révolutionnaire, le Comité de Salut Public (organe pilote issu de la Convention), constitue l'un des moments les plus controversés de cette histoire.
Le Procès de Georges-Jacques Danton (1759 - 1794), qui s'est tenu du 12 au 16 germinal an II (2 au 5 avril 1794) est représentatif des dérives autoritaires imputées au Comité de Salut Public. Il s'inscrit dans une lutte entre deux factions de la Convention fondamentalement opposées dans leurs interprétations de la conduite à mener pour "sauver" la Révolution. Alors que les "ennemis de l'intérieur" et les coalitions armées royalistes menacent la pérennité du régime, la frange hébertiste (emmenée par Hebert, chef de fil du mouvement des "Enragés") et indulgente (incarnée par Danton notamment, ou Camille Desmoulins) s’écharpent. Faut-il durcir ou au contraire adoucir les mesures d'exception instaurées par le Comité de Salut Public ? Une bataille des idées, sous présage menaçant de la guillotine comme épée de Damoclès, fait rage. Danton et ses alliés prennent l'avantage en faisant condamner et exécuter les hébertistes le 24 mars 1794. Mais la pression continue exercée par la "droite" du mouvement révolutionnaire fait vaciller les tenants du pouvoir, dont Robespierre. Et les 30 et 31 mars 1794 Danton, Desmoulins mais aussi Lacroix et Philippeaux sont arrêtés.
Bien qu'aucune "neutralité" historique absolue ne puisse s'exercer sur ces sujets, nous nous référons à un article publié sur le site du ministère de la Justice pour étayer les accusations portées à l'encontre de Danton et de son clan. Nous verrons pour chacune d'entre elles, en quoi certaines charges peuvent être imputées à l'ancien ministre, tandis que d'autres ne font de ce procès qu'un simulacre de justice. Voici en aparté des éléments clés du procès, ce qu'indique le ministère de la Justice sur le tenue des procès durant la Révolution française :
Les procès de la Révolution Française, et surtout ceux s'étant déroulés pendant la Terreur, ne brillèrent pas particulièrement pour la qualité de leurs enquêtes préliminaires. Du moins, la constatation des infractions était latente et le rassemblement des preuves pour le moins expéditif, répertoriées dans des actes d'accusation ressemblant plus à des pamphlets qu'à de véritables rapports juridiques. Schématiquement, l'accusation avait parfois valeur de preuve et le simple fait de semer le doute ou de jeter le discrédit sur un individu suffisait au ministère public dans les cas les plus extrêmes.
Source : Le procès de Danton
Voici les faits imputés par Saint-Just à l'encontre du clan Danton :
- d'avoir entretenu des relations avec Mirabeau, déclaré traître à la Patrie pour ses échanges secrets avec Louis XVI, et Philippe d'Orléans, cousin de ce dernier.
d'avoir entretenu des relations avec les frères Lameth et Barnave, royalistes notoires ;
d'avoir entraîné, en tant que rédacteur de la pétition demandant la République en 1791, le peuple au Champs-de-Mars, victime de la répression militaire tandis que lui, Danton, aura été épargné ;
d'avoir émigré en Angleterre suite à cet évènement ;
d'avoir consenti, par son silence, à la déclaration de guerre du 20 avril 1792 souhaitée par les Girondins à l'Assemblée Législative;
d'inaction personnelle lors de la journée du 10 août 1792, date de la fin de la monarchie en France, alors qu'il fut l'instigateur de l'évènement ;
d'avoir protégé Fabre d'Eglantine, accusé de fraudes dans l'affaire dite de la "liquidation de la Compagnie des Indes" (Cf. Liquidation de la Compagnie des Indes orientales)
de s'être enrichis, lui et ses amis, dans le cadre de ses fonctions de ministre de la Justice après le 10 août ;
d'avoir protégé Dumouriez, général français passé à l'ennemi et déclaré traître à la Patrie, en tentant de couvrir sa forfaiture ;
d'avoir trop tendu la main aux ténors Girondins, déclarés traîtres à la Patrie après leur procès en octobre 1793 ;
d'avoir trop prêché la clémence et la modération envers les "suspects" de la Terreur.
Sources : Le procès de Danton.
A l'aide de ces compléments d'information apportées par l'article, vous pourrez vous faire un avis sur la teneur des accusations portées contre Danton :
- Danton demande la formation d’une commission pour examiner le «système de Dictature exercé par le Comité de Salut public», rejetée par le juge Herman.
- Le cas Mirabeau: Il est accusé d'avoir reçu un certain nombre de subsides de Mirabeau. Si ces faits étaient bien réels et connus de tous, le Tribunal n'avait pas au moment du procès les preuves matérielles justifiant la corruption.
- Quant à Philippe d'Orléans : Danton minimisa la teneur des liens qui les unissaient.
- Affaire du Champs de Mars : Là encore, point de preuve, d'autant que souhaiter la République et la fin de la monarchie dès 1791 ne peut être constitutif du modérantisme qu'on lui reprochait. L'accusé balaya ainsi d'un revers de la main cette accusation et mit l'accent sur la "pureté de ses intentions".
- La fuite en Angleterre : Danton fit prévaloir que Marat, grande figure de la Révolution et martyr depuis son assassinat par Charlotte Corday, avait lui-même été forcé de quitter la France pour Londres.
- Journée du 10 aout 1792 : Passage difficile de la défense de Danton où les témoins demandés n'ont jamais été présentés devant le Tribunal. L'accusé tenta de reconstituer son emploi du temps en se glorifiant d'avoir demandé l'élimination de Manda, commandant de la Garde Nationale et favorable au Roi, assassiné dans la nuit du 9 au 10.
- Sa richesse douteuse : Autre moment épineux du procès, Danton eut du mal à lever les suspicions relatives à la fortune qu'il s'est constituée. La corruption, présumée depuis longtemps, fut prouvée par un témoignage accablant du député Cambon.
- Le cas Dumouriez : Il lui est reproché de ne pas avoir ordonné la poursuite du général Dumouriez qui s'est vendu à l'ennemi. Danton, sans convaincre, affirma que la guerre n'avait jamais été son domaine de prédilection.
- Relation avec les Girondins : Partisan de l'union sacrée entre les Girondins et les Montagnards à la Convention, Danton ne s'est jamais caché de sa proximité avec les leaders du parti opposé au sien. Mais il écarta d'emblée toute accusation de duplicité en prétextant qu'il participa activement à l'éviction des Girondins.
Dans ces conditions, Danton fut exécuté place de la Révolution le 5 avril 1794.
Sources complémentaires :
Le tribunal révolutionnaire : punir les ennemis du peuple, BOULANT Antoine (Paris: Perrin, 2018)
Une histoire de la Révolution française, HAZAN Eric (La Fabrique, 2012)
Danton et Robespierre : le choc de la Révolution, CHAVANETTE Loris (Passés composés, 2021)
En vous souhaitant une bonne journée